Reportage

Marie, esclave chrétienne de Daesh

De Mossoul à Raqqa

Pendant deux ans, Marie*, une chaldéenne de 38 ans, originaire de Mossoul a été l’esclave sexuelle et la bonne a tout faire d’émirs de l’Etat islamique.  Vendue et revendue, de Mossoul à Raqqa, d’Irak en Syrie,  elle témoigne aujourd’hui de la barbarie des fous de Dieu.
chretienne enlevée par Daesh

Leurs visages sont indélébiles, et dansent , macabres, devant ses yeux. Il y a eu les obèses, les vieux, les tortionnaires, les indulgents, les pervers, les vénaux, comme Abou Osama, qui l’a revendue à sa famille pour pouvoir quitter le front syrien et regagner la France. Tous ces « maîtres » avaient pourtant la même phrase a la bouche : « Je t’ai payée avec mon argent et c’est mon droit de faire ce que je veux de toi ».   De Mossoul à Raqqa, Marie, chrétienne, esclave des djihadistes a changé plus de 16 fois de propriétaire. « C’étaient des monstres, des animaux. Je n’ai connu pendant ces années que  la souffrance et le dégoût. Ils venaient se servir comme si j’étais une chose inanimée et repartaient sans se préoccuper de moi. Ils me disaient nous t’avons achetée pour t’humilier. Vous les esclaves êtes comme nos chaussures ». Et dans ce djihad de l’humiliation, le viol est une arme de destruction massive.

Marie est arrêtée par les soldats de l’Etat islamique en août 2014 à un check point  près de Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne d’Irak, où elle avait trouvé refuge avec sa famille, après que Daesh ait conquis la ville de  Mossoul. La jeune femme est d’abord conduite dans une maison dans laquelle s’entassent une cinquantaine de Yézidies et une poignée de chrétiennes.  Selon les codes de  la ségrégation de Daesh, il était interdit de les confiner dans les mêmes pièces. Mais, dans ce centre de tri pour esclaves sexuelles, si les chrétiennes sont beaucoup plus rares et aussi plus recherchées que les Yézidies, cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont mieux traitées.  Car à Mossoul et dans la région, Daesh a érigé la haine des chrétiens en commandement sacré. Ils sont l’objet des fantasmes et de la haine des djihadistes. La  jeune femme se souvient, par exemple, de la prière de ces  enfants de 10 ans  « O Allah, tue tous les Nazaréens » et de ces familles qui utilisaient les robes traditionnelles assyriennes comme paravent devant leurs toilettes et crachaient dessus.

Le jour de sa capture, Marie est  entièrement déshabillée, examinée et estimée, à la manière d’une bête sur un marché. Elle est conduite devant un juge, Hussein, disposant lui-même de quatre esclaves Yézidies, qui lui délivre un certificat de conversion à l’islam, puis établit un acte de propriété pour son futur maitre.  C’est a à partir de cette nuit là  que son calvaire va commencer, qu’elle passe de mains en mains dans une odyssée de l’enfer  qui dessine les contours des frontières  de l’Etat islamique.

Sans hésitation, Marie égrène le nom et les surnoms de chacun de ses « maîtres », tortionnaires d’un jour ou de plusieurs mois. Elle les énumère  par ordre chronologique, mais on sent qu’elle a aussi fait un autre classement dans sa tête: le palmarès d’ignominie de ses bourreaux. Il y a eu le premier, Abou Ahmad Al Shari, juge à la cour de sharia, originaire de Makhmur, à  qui on l’avait offerte pour service rendu « comme butin de guerre », dit-elle. Un « hadji », qui avait fait le pèlerinage à la Mecque et exigeait d’elle qu’elle lui baise la main. Âgé, il couvrait son corps de morsures profondes parce qu’il n’arrivait pas à la violer. Elle se souvient de ce jour où, dans leur maison de Karemless, il l’a battu si fort que le lit ou elle était attachée s’est cassé. Et de cet  autre où il a enfin réussi à abuser d’elle. Pendant qu’elle se vidait de son sang, il lui a dit : « voilà ce qui arrive à toutes les filles d’Eve ! ». Lui, de surcroît, était avare et ne lui donnait rien à manger.  Il la déplaçait au gré de ses affectations dans tous les quartiers de Mossoul comme un paquet de linge. La hiérarchie de l’Etat islamique, fait rarissime, a fini par lui confisquer son esclave pour mauvais traitement.

chretienne enlevee par Daesh

Pour rester en vie, Marie a souvent porté plainte devant les wali de Daesh, son seul recours devant la perversité débridée de ses maîtres qui surpassait en sauvagerie bestiale celle codifiée par les règles du Califat. Ainsi, les arbitres de l’Etat islamique ont-ils confié Marie à un émir prénommé Abbas. Ce Mossouliote de 28 ans portait  sur son corps les cicatrices des tortures que lui avaient fait subir les Américains. Lui était plus clément et la traitait avec plus de respect, mais, au bout de quelques mois, l’émir s’est lassé d’elle et l’a revendue. En un jour, la chrétienne a alors changé trois fois de maître.

En février 2016, alors qu’elle était en route vers Bartella, avec son nouveau propriétaire, Loai, un obèse qui l’étranglait, la violait et la prêtait à son frère comme bonne à tout faire, Marie a été revendue à Abou Mansour qui l’a conduite à Baaj. «Quand je suis arrivée chez luiIl a plié un tuyau d’arrosage pour en faire une corde et m’attacher pendant qu’il me violait. Je n’ai pas cessé de hurler mais les gardes m’ont dit : s’il t’assassine, on ne fera rien ; tu lui appartiens… Je ne pouvais pas m’échapper et donc je me suis jetée par la fenêtre du troisième étage… Depuis ce jour, j’ai peine à me tenir debout et mes jambes me font souffrir jour et nuit ». La mère de Loai, inquiète pour la jeune femme, convainc son fils de reprendre Marie chez lui.   Mais son sort ne s’améliore pas pour autant. Loai  commencé à « prêter » Marie à ses amis pour leur divertissement.  « Pendant le ramadan en 2016, il m’a confiée à Qutaiba qui m’a conduite dans une maison abandonnée, dans laquelle ses quatre frères, des sunnites de Mossoul, m’ont violée chacun à leur tour ». Il faut alors éloigner Marie avant qu’elle puisse se plaindre au Wali, car aucun des quatre frères mariés n’avaient établi de mariage temporaire avant d’avoir des relations charnelles avec la jeune femme; un motif de condamnation par la police des mœurs de l’Etat islamique.

Le supplice de Marie reprend,  et après être passé par d’autres mains, avoir subi d’autres coups et avoir été jetée sur d’autres paillasses où l’on abusait d’elle, Marie, a été achetée par Abu Khalid al Alalmani, un syrien qui l’a emmenée à Raqqa.  Dans la deuxième capitale de l’Etat islamique, la jeune femme est revendue  au plus grand marchand d’esclave de la ville, Zair al Idlibi, qui se trouve être un ancien journaliste d’al Jazeera,  originaire d’Idlib ayant quitté la chaine qatarie pour rejoindre le djihad :  « A deux heures du matin parfois, il nous forçait a revêtir de belles robes pour nous présenter à des acheteurs potentiels. S’ils voulaient examiner des parties de nos corps, nous  devions les laisser faire. J’étais la seule esclave chrétienne. Toutes les autres étaient des Yézidies,  agressives et méchantes avec moi… »

Parce qu’elle est blonde, Marie sera repérée  par un autre marchand d’esclave, Abu Osama Al Shami. Celui ci veut la garder pour lui. ; Elle est chère mais il l’apprécie tant qu’il revend sa voiture pour acquérir la  chrétienne. Pourtant, il renonce à l’épouser quand il réalise qu’elle est plus âgée que lui. Mais elle rejoindra son harem de 15 femmes yézidies qui lui réservent mille vexations, renversent son shampooing, volent ses quelques affaires de toilettes,  mentent sur son compte. Abou Osama, exaspéré par les querelles incessantes qu’elle suscite, la frappe à coups de bâton et lui casse les mains. Et puis un jour, il lui explique qu’il veut aller en France, et financer son voyage en la revendant à sa famille pour la somme de 50000 dollars. Il vendra aussi quatre Yézidies au prix de 15000 dollars  « Je lui ai demandé de me donner au moins des chaussures pour ne pas faire le voyage pieds nus, mais il m’a dit ne t’inquiètes pas l’Onu te fournira tout et aussi un passeport pour aller en France. »

En fait, le voyage vers la liberté durera des jours. Une voiture conduit d’abord les femmes de Raqqa jusque dans une maison dans  le désert syrien. «Puis le lendemain, après la prière de midi, nous avons pris la route de Qamichli (capitale du Kurdistan syriens), truffée de mines. Le motocycliste qui nous précédait ne cessait de s’arrêter, il était guidé au téléphone par des membres du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Enfin, nous sommes arrivées saines et sauves. J’ai enlevé mon voile et le PKK nous a accueillies et conduites  à Tell Tamr. A la frontière, avant d’arriver à Duhok, (Kurdistan irakien) des officiers yézidis m’ont promis : ‘’Nous irons à Mossoul et nous vous vengerons d’eux sur  leurs femmes. Moi je leur ai dit : vous n’allez pas reproduire leurs crimes !’’ »

Comment est-on accueillie par les siens quand on revient de l’enfer ?, quand on a été souillée, torturée, violentée par des monstres ? « J’ai  mieux été accueillie à Qamichli, en Syrie par des étrangers qu’en Irak dans ma propre famille » . L’aveu est terrible.  Après les tortures subies en captivité, l’opprobre.  La honte de son corps « sali »,  de son âme « damnée » pour la communauté puisqu’elle avait du se convertir à l’Islam. ; La dictature du qu’en dira-ton est si absolue dans cette partie du monde, qu’on soit chrétien, musulman ou Yezidi, que sa famille lui a demandé de s’exiler.  Marie est morte deux fois : quand elle a été arrachée aux siens et quand elle est revenue parmi eux. Aujourd’hui, elle rêve de  reconstruire ailleurs son corps meurtri, en France, loin de ses cauchemars et de son entourage. Yohanna, le travailleur humanitaire d’Hammourabi, l’organisation qui l’a sortie des griffes de Daesh, aimerait l’aider à porter plainte à la Cour pénale internationale et  clore ainsi le calvaire de Marie, l’esclave  chrétienne de l’Etat islamique.

Sara Daniel (avec Benoît Kanabus)

Avant l’occupation américaine de l’Irak en 2003, près d’un million et demi de chrétiens vivaient en Irak dont 600000 à Bagdad et 60000 à Mossoul. ; Mais, en raison des violences qui ont déchiré le pays depuis 13 ans, ils ne seraient plus que 200000 aujourd’hui. Pendant cette période, 61 églises ont été attaquées et plus d’un millier de chrétiens tués. La communauté chrétienne d’Irak est composée d’une douzaine de confessions et rites. Parmi les catholiques dominent les Syriaques et les Chaldéens, l’un des plus anciens rites du christianisme de langue liturgique araméenne, qui serait arrivée en Irak avec l’apôtre Thomas, quelques dizaines d’années après la mort de Jésus.

*le prénom a été changé