Reportage
Bush redécouvre l’ONU…
Alors que la relève des troupes de la coalition devient urgente, George Bush demande l?envoi en Irak d?une force multinationale qui serait placée sous commandement? américain Bush redécouvre l?ONU…
«Tous nos amis n?ont pas été d?accord avec notre décision de faire appliquer les résolutions des Nations unies et de retirer du pouvoir Saddam Hussein?» Ceux qui s?attendaient à un mea culpa américain après le triste bilan des attentats du mois d?août en Irak en seront pour leurs frais: dans le discours qu?il a prononcé quatre jours avant l?anniversaire des attaques du 11 septembre 2001, George Bush ne s?est pas départi de son arrogance pour rappeler les Nations unies à leur «devoir». Et présenter son appel à l?aide comme une chance pour l?organisation internationale: «Les membres des Nations unies ont maintenant l?occasion et la responsabilité d?assumer un rôle plus large pour s?assurer que l?Irak devienne un pays libre et démocratique.»
Malgré le ton employé, le discours du président américain n?en montre pas moins que le camp des unilatéraux aux Etats-Unis est aujourd?hui en perte de vitesse. Champion de ces «cow-boys solitaires», Donald
Rumsfeld a fini par perdre de sa crédibilité aux yeuxde la Maison-Blanche: «Il a cafouillé dans son plan d?après-guerre, explique au « Washington Post » William Kristol, le chef de file des néoconservateurs. Pendant cinq mois, Rumsfeld a assuré que tout allait bien et que l?on n?avait besoin ni d?hommes supplémentaires, ni surtout de l?aide de l?ONU. On peut dire qu?il s?est trompé !»
Comment s?explique ce changement de tactique du président américain? Il y a d?abord le bilan du mois d?août, au cours duquel les troupes de la coalition ont essuyé en moyenne quinze attaques par jour. Puis
un alarmant rapport du Congrès affirmant que les troupes américaines ne pourront pas continuer seules après le printemps 2004. Car on a beau apercevoir des soldats du Honduras ou du Guatemala à Nadjaf, des Espagnols à Kout ou des Australiens à Bagdad, il n?en reste pas moins que 86% des 163 000 militaires présents en Irak sont américains. Et il sera difficile de trouver les 30 000 soldats «étrangers»nécessaires à la relève des GI. Cette relève pourrait venir de Turquie, du Pakistan ou de l?Inde si les gouvernements de ces pays réussissent à contenir chez eux les manifestations de colère que l?occupation de l?Irak par leurs troupes pourrait provoquer. Quant à la France ou à l?Allemagne, leurs troupes sont déjà engagées sur d?autres théâtres d?opérations, en Afrique et en Afghanistan. Ce qui signifie que les troupes américaines seront encore enlisées en Irak dans un an lorsque commencera la campagne électorale de George Bush. Le revirement américain intervient aussi au moment où la Maison-Blanche vient d?annoncer au Congrès le nouveau montant de la facture de «l?occupation»: près de 87 milliards de dollars en 2004. Une réévaluation qui tient compte de la révision à la baisse des revenus du pétrole irakien et de celle de la
contribution des «alliés». Au Congrès, le chiffre a fait l?effet d?un électrochoc. «Nous allons être très réticents à accorder plus d?argent s?il n?y a pas de plan plus clair pour établir quand et comment nous quitterons l?Irak? Nous voulons apercevoir la lumière au bout du tunnel», a prévenu Jim Kolbe, représentant républicain de l?Arizona, qui siège à la commission des crédits budgétaires…
Comment les membres du Conseil de Sécurité vont-ils accueillir cet appel au secours du président américain? La semaine dernière, à Dresde, Jacques Chirac a critiqué le texte destiné à élargir le rôle de l?ONU en Irak: «Il nous paraît assez loin de l?objectif prioritaire», à savoir «le transfert de la responsabilité politique à un gouvernement irakien aussi rapidement que possible», a déclaré le président français. Car selon le projet de résolution de Washington, le Conseil de Gouvernement irakien demeurerait sous la tutelle des Américains. Et la force multinationale de l?ONU serait placée «sous commandement unifié», c?est-à-dire? américain.
Malgré cela, certains analystes de politique internationale pensent que les membres du Conseil de Sécurité finiront par trouver un terrain d?entente. Benjamin Barber, de l?université du Maryland, estime que les réticences affichées aujourd?hui par le «clan de la paix» sont tactiques et que Français et Russes sont en train de fixer le prix de leur soutien à l?effort de guerre américain. Un marchandage qui tourne autour du partage du pouvoir politique, des contrats pétroliers et d?une participation à la reconstruction du pays. Ghassan Salamé, numéro deux de l?ONU à Bagdad et bras droit de Sergio Vieira de Mello avant la mort de
celui-ci dans l?attentat du 19 août, pense lui aussi que la résolution finira par être adoptée: «Il n?y aura pas de veto à la résolution. Et le secrétaire général ne s?y opposera pas.» Une attitude qu?il regrette presque: «Nous ne sommes pas dans une situation d?après-guerre. Et les casques bleus ne feraient pas l?affaire. Ayons le courage de reconnaître qu?aujourd?hui seule l?armée irakienne peut assurer la stabilité et la sécurité du pays. Je ne suis pas sûr que l?ONU puisse réussir aujourd?hui en Irak?» .