Reportage

La longue marche de Nouri al-Maliki

Une image de grand patriote

Déjà, en s’attaquant à Bagdad à l’Armée du Mahdi – la milice de son rival chiite Moqtada al-Sadr -, en menant la guerre contre Al-Qaida dans la province de Diyala et en arrêtant des peshmergas kurdes pour affirmer l’autorité du gouvernement au nord du pays, le Premier ministre s’était peu à peu hissé au rang de véritable leader avec lequel il faudrait compter. Et il vient de profiter de la campagne électorale pour se tisser une image de grand patriote : pas une seule fois il n’a mentionné son appartenance d’origine à une formation chiite, et la Coalition pour un Etat de Droit qu’il chapeautait rassemblait des Kurdes, des sunnites, des Turkmènes et des candidats in dépendants. Les résultats définitifs ne seront pas connus avant plusieurs semaines, mais, selon les premières estimations, la liste du Premier ministre serait arrivée en tête des suffrages à Bagdad et dans six des neuf régions à forte majorité chiite du pays.

«Ces élections sont un important pas en avant… Une bonne nouvelle, pas seulement pour les troupes sur le terrain, mais aussi pour leurs familles» : le président américain Barack Obama s’est aussitôt félicité du bon déroulement de ces élections, test capital dans la perspective d’un désengagement des troupes américaines. Car le gouvernement irakien a aussi prouvé qu’en déployant ses propres forces de sécurité il pouvait organiser (avec l’aide des agents de l’ONU) une consultation électorale au cours de laquelle l’émissaire spécial du secrétaire général de l’ONU, Staffan de Mistura, n’a pas noté de fraudes particulières. Or, sauf dans les régions très instables de Mossoul et de Baqouba, les 140 000 soldats américains basés en Irak ne se sont presque pas montrés. Les capitales occidentales ont également souligné la «maturité» que les électeurs irakiens ont montrée en sanctionnant sévèrement les partis religieux, qui avaient accaparé la vie politique depuis le début de l’intervention américaine. Un exemple : le prêcheur radical antiaméricain Moqtada al-Sadr perd la seule région qu’il contrôlait dans le Sud chiite du pays.

Un long chemin

«Nous avons été trompés par la Marjiya [direction religieuse de Nadjaf]. Nous avons élu des gens amoraux !» Ce slogan de campagne en dit long sur la désaffection des partis religieux, qui sont souvent accusés d’être les principaux responsables de la guerre civile : «Nous sommes les fils du Tigre et de l’Euphrate Nous avons essayé les turbans blancs [sunnites] et les turbans noirs [chiites], et voilà le résultat. Ils nous ont plongés dans un cycle de nettoyage ethnique, de racisme et de massacres C’est la conséquence naturelle de la confusion ente le politique et la religion», a affirmé Khalaf al-Thanoun, un responsable politique irakien, dans un entretien avec l’ONG International Crisis Group.

Bien sûr, le Premier ministre Nouri al-Maliki a encore un long chemin à parcourir pour consolider cette première étape vers la stabilisation de l’Irak Et s’il peut se féliciter de la réintégration des sunnites dans le jeu politique, qui avaient boycotté les élections précédentes au non de la «résistance» à l’occupation américaine, il sait aussi que la faible participation des électeurs dans le triangle sunnite demeure inquiétante. Ainsi, à Fallouja, plusieurs des chefs de tribu qui se sont ralliés aux Américains pour lutter contre l’influence d’Al-Qaida menacent de reprendre les armes si le verdict des urnes ne leur donne pas satisfaction.

Violence en baisse

Près de 7,5 millions d’Irakiens sur 14,9 millions d’inscrits, soit 51%, ont voté pour départager 14 431 candidats aux 440 sièges des conseils provinciaux. Ces conseils contrôlent les budgets municipaux et embauchent les fonctionnaires de la province. Parallèlement, la violence en Irak a atteint son niveau le plus bas depuis l’invasion américaine de 2003, selon le gouvernement irakien. Au cours du mois de janvier, 138 civils ont été tués, contre 466 il y a un an à la même période. Et la mort de quatre soldats américains constitue aussi le bilan mensuel le plus faible enregistré depuis six ans.

Sara Daniel, Le Nouvel Observateur