Reportage
Un front anti-Assad?
C’est une image surréaliste, une photo incongrue qui montre Bachar al-Assad, tout sourire à la sortie d’un bureau de vote. Derrière lui, sa ravissante épouse, Asma, affiche, elle, un rictus figé. Explication: le président syrien a confié à une délégation de notables qu’elle l’aurait supplié de démissionner. Mais qu’il lui aurait répondu que ce serait une attitude peu digne, car le pays avait besoin de lui. Et c’est ainsi qu’on a vu ce despote sourd au monde, fort du soutien de ses alliés russes, voter le texte d’une nouvelle Constitution censée instaurer le pluralisme politique et mettre fin à l’hégémonie du parti Baas, tout en préservant de larges prérogatives au chef de l’Etat, notamment celle de se maintenir au pouvoir encore seize ans. Et tandis qu’à Damas on voulait faire croire à une percée démocratique, la tragédie se poursuivait à Homs, où 34 civils et 23 membres des forces de l’ordre sont encore morts dimanche, selon l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme. Les obus ont continué de pleuvoir sur le quartier de Bab Amro, où avaient été bloqués les journalistes Edith Bouvier et Paul Conroy.
L’opposition et les militants en faveur de la démocratie qui exigent le départ du président syrien avaient logiquement appelé à boycotter ce scrutin, qualifié de « plaisanterie » par Washington. Pourtant, c’est la réunion de Tunis de vendredi dernier que certains opposants de l’intérieur, contactés par téléphone, ont aussi qualifié de « triste plaisanterie », exaspérés par le spectacle de l’impuissance occidentale devant l’agonie de Homs. Car les Amis du Peuple syrien, cette coalition de pays et d’organisations internationales mobilisés pour faire cesser la répression en Syrie rassemblée le 24 février dans la capitale tunisienne, n’a pu que dresser le constat de son impuissance diplomatique, humanitaire et, a fortiori, militaire. Les veto russe et chinois interdisent toute intervention internationale. Et l’idée de « couloirs humanitaires sécurisés », défendue par la France, est critiquée par la plupart des ONG.
En réalité, la conférence de Tunis s’est surtout efforcée de rassembler l’opposition anti-Assad, toujours très fragmentée et traversée par des querelles de leadership qui l’affaiblissent. Si le Conseil national syrien (CNS), représenté par l’universitaire exilé en France Burhan Ghalioun, a ainsi été reconnu comme « représentant légitime du peuple syrien », la plupart des opposants de l’intérieur lui contestent encore toute prééminence. A Tunis, l’universitaire a pris soin de réaffirmer que la future Syrie démocratique mettrait un point d’honneur à garantir les droits des minorités (chrétienne, alaouite, druze, kurde…). Mais les parrains occidentaux du CNS exigent que sa composition s’élargisse davantage avant de le reconnaître comme gouvernement syrien en exil et de lui accorder l’aide financière, voire militaire qu’il demande. Ce sera l’objet des futures conférences qui se préparent.