Reportage
Syrie: la stratégie de l’impuissance
Le soutien financier des Amis de la Syrie aux insurgés… n’a pas réussi jusque-là à faire reculer Al-Assad.
Il ponctue ses phrases de rires amers. Il se raccroche à un ultime espoir, celui de voir appliquer le plan de paix proposé par Kofi Annan. Au lendemain de la conférence des Amis de la Syrie qui s’est tenue dimanche dernier à Istanbul, cet opposant syrien qui préfère garder l’anonymat dénonce la double hypocrisie de cet énième grand raout international. Hypocrisie de la part de l’opposition, qui fait mine de croire que le Conseil national syrien (CNS) peut la représenter dans son intégralité alors qu’elle n’a jamais été aussi divisée. Hypocrisie de la communauté internationale qui dit soutenir les négociations politiques conduites par l’ancien représentant de l’ONU tout en laissant des pays comme le Qatar ou l’Arabie saoudite financer la lutte armée.
Le plan de l’ONU
Mise en place d’un « processus politique ouvert, dirigé par les Syriens ». – Cessation de toutes les formes de violence armée par toutes les parties. – Acheminement de l’aide humanitaire dans toutes les zones touchées par les combats. – Libération des personnes arbitrairement détenues. – Liberté de circulation pour les journalistes dans tout le pays. – Respect du droit d’association et de manifestation.
Le plan onusien est la dernière chance, selon cet homme, d’éviter la guerre civile. Certes, il ne croit plus depuis longtemps aux fausses promesses de Bachar al-Assad qui a affirmé une fois encore qu’il se conformerait aux propositions de Kofi Annan et ferait taire les armes avant le 10 avril. L’organisation non gouvernementale Human Rights Watch n’a-t-elle pas apporté la preuve que l’armée du régime utilise des civils comme boucliers humains dans les zones insurgées, allant jusqu’à placer des enfants sur les chars dans la ville d’Idlib? Le cynisme du tortionnaire de Damas qui déclarait, il y a quelques jours, que les opérations de pacification étaient enfin terminées a encore atteint un degré supplémentaire. Reste la Russie. L’opposant s’attache, sans trop y croire, aux affirmations de Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères du Kremlin, qui l’a assuré que Moscou était déterminé à en finir avec le despotisme du régime de Damas. Ces mêmes Russes, qui affirment que toutes les parties doivent cesser les combats alors qu’ils n’ont pas renoncé à livrer des armes au régime, sont le « seul espoir qui nous reste », dit-il d’un ton désespéré.
En attendant, c’est le scénario du pire qui s’impose. A défaut d’avoir reconnu le Conseil national syrien comme gouvernement de l’opposition en exil, la conférence d’Istanbul a amorcé une étape vers ce soutien militaire que l’Armée syrienne libre (ASL) appelle de ses voeux. Alors que les Etats-Unis ont reconnu fournir déjà du matériel de renseignement et de communication à l’opposition syrienne, l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis vont établir un fonds pour payer les salaires des soldats de l’Armée syrienne libre. Cette enveloppe dotée de 100 millions de dollars destinés à encourager les défections dans les rangs de l’armée régulière va aussi servir au CNS pour conforter sa position vis-à-vis d’une opposition de l’intérieur qui ne cesse de dénoncer son illégitimité. Avec ce financement, Burhan Ghalioun, le président du CNS, va pouvoir établir un bureau d’aide aux blessés, comme l’OLP l’avait fait avec les Palestiniens. « C’est un geste plus politique que militaire », commente Haytham alManna, représentant des tanzikiyat, les comités de coordination à l’extérieur de la Syrie.
« Et qui exactement le général Burhan Ghalioun va-t-il rémunérer? », persifie Al-Manna qui a quitté le Conseil national syrien parce que l’organisation faisait la part trop belle aux Frères musulmans, pour fonder le Comité national pour le Changement démocratique. AlManna, qui est originaire de Deraa, explique que, dans cette seule ville, on compte trente groupes armés différents. « La réunion d’Istanbul aura permis à l’argent du Golfe de se déverser sur mon pays. Vous verrez qu’il y aura bientôt une branche de l’Armée libre d’Al-Qaida…
La militarisation de la révolte est une vraie catastrophe pour la Syrie. » Mais pour un autre membre des comités de coordination, un chrétien professeur de mathématiques d’Alep, la manne du Qatar et de l’Arabie saoudite permettra peut-être enfn d’unifer les rangs de l’Armée libre.
Sur la chaîne Al-Arabiya, il a écouté en direct d’Istanbul les propos des Frères musulmans syriens, Ali Sadreddin al-Bayanouni et Mohammed Riad al-Shaqfa, qui dirigent la confrérie depuis Londres, et de Mohammed Farouk Tayfour, leur représentant au sein du CNS. Tous les trois ont assuré que le droit d’expression et de religion serait garanti dans la Syrie de demain. Ils se sont engagés à combattre le terrorisme et à respecter les traités internationaux. Comme beaucoup de Syriens aujourd’hui, cet opposant a choisi de croire à leur discours apaisant, non par naïveté, mais pour ne pas sombrer dans le désespoir.