Interview

La Syrie peut tout faire au Liban

Pour Walid Joumblatt, chef du Parti socialiste progressiste qui participe à la coalition au gouvernement, le cycle de violences n’en est qu’à son début…

L’assassinat du général Wissam al-Hassan, le 19 octobre, marque-t-il le début d’une nouvelle déstabilisation du Liban par Damas?

Walid Joumblatt En commanditant l’assassinat de Wissam al-Hassan, l’un des chefs du service de renseignement libanais, proche des Etats-Unis et de la France, le message de la Syrie était clair: montrer qu’elle avait toujours les moyens de relancer la guerre civile au Liban. Le général Wissam était un ennemi encombrant pour le régime de Damas: proche de l’opposition syrienne, il avait procédé à l’arrestation à Beyrouth de l’ex-ministre de l’Information et député Michel Samaha, homme lige de Bachar alAssad, qui avait rapporté dans sa voiture des explosifs sophistiqués destinés à perpétrer des attentats contre des personnalités politiques libanaises antisyriennes. Depuis qu’ils ont assassiné mon père, Kamal Joumblatt, le 16 mars 1977, les Syriens ont gardé l’habitude de faire éliminer tous ceux qui les dérangent au Liban. Ce n’est qu’un début, le cycle des violences vient de s’amorcer. A chaque fois que le régime syrien est en difficulté, il exporte ses problèmes hors de ses frontières, en Turquie, en Jordanie, en Irak et surtout au Liban où ses réseaux infiltrent encore largement l’appareil d’Etat.

Aujourd’hui, l’opposition libanaise dénonce le soutien du Hezbollah au régime syrien. Certains appellent à la démission du gouvernement pro-Hezbollah du Liban. Et vous?

Si la classe politique libanaise s’accorde pour former un gouvernement d’union nationale, j’y participerai. Mais ce n’est pas moi qui, par ma démission, vais provoquer la dissolution du gouvernement et précipiter le Liban dans l’inconnu. Le vide politique conduirait au pire. Certains hommes politiques libanais semblent déconnectés de la réalité et réclament la démission à tout prix du Premier ministre Najib Mikati: ils n’ont pas pris la mesure de la gravité de la situation. Il faut s’attendre à tout de la part du régime de Bachar al-Assad, y compris au Liban, d’autant qu’il tue en toute impunité face à une communauté internationale pétrifiée.

Comment jugez-vous l’attitude de la communauté internationale dans la crise syrienne?

Tout se passe comme si elle conspirait pour ne rien faire. L’Occident regarde sans bouger un despote pire que Hitler tuer son peuple. Dernier épisode de cette mascarade diplomatique, mercredi dernier [31 octobre, NDLR], à Paris, où les ministres des Affaires étrangères français et russe, Fabius et Lavrov, ont longuement discuté sur des points de détail. Le premier insistant sur la nécessité du départ d’Assad, tandis que Lavrov affirmait qu’il appartenait au peuple syrien de décider du sort de son président. Ces querelles sémantiques durent depuis des mois et permettent de différer les vraies décisions: maintenir ou non Assad au pouvoir, pendant qu’on assassine la Syrie, comme si c’était encore la question… Quelle hypocrisie!

Que doit faire l’Occident?

Armer l’opposition! Cela aurait dû être fait depuis la bataille de Baba Amr, à Homs. Et fournir à l’Armée syrienne libre des missiles antichars pour accélérer la chute du régime afin d’enrayer la guerre civile qui déchire la Syrie. On dit qu’il y a des fondamentalistes qui se battent au sein de l’Armée libre. Mais c’est la paralysie de la communauté internationale qui transforme cette guerre de libération en guerre civile sectaire et religieuse! Les Syriens n’ont pas besoin d’une intervention militaire, qui provoquerait un confit entre la Turquie et l’Iran, mais d’armes comme les missiles antichars français Milan ou les Stinger antiaériens américains qui rééquilibreraient les forces en présence et précipiteraient la chute de ce régime barbare. Nettoyage ethnique, destruction des centres historiques et d’un patrimoine culturel unique, l’Occident ne voit-il pas que le régime est en train d’entraîner le pays tout entier dans sa chute? Assad n’hésitera pas à ramener son pays à l’âge de la pierre.

DRUZES
Forte de 700 000 membres, la communauté druze de Syrie est la plus importante de la région et représente environ 3% de la population syrienne. Il y a 250 000 Druzes au Liban et 125 000 dans le nord d’Israël, en Galilée et sur le plateau du Golan. Branche ismaélienne de l’islam chiite, la doctrine religieuse druze contient des éléments issus du Coran comme du mysticisme musulman.

SARA DANIEL