Reportage
Raïssi, la face sanglante de la république des Mollah
Ultra conservateur, le futur président d’Iran est un des piliers du système répressif de la république islamique. Amnesty international réclame qu’on le juge pour crime de guerre. Il a du sang sur les mains mais c’est avec lui qu’il faudra négocier la reprise d’un accord sur le nucléaire.
Avec sa barbe, ses lunettes et son turban noir, sa démarche incertaine et son verbe hésitant qui le fait trébucher sur les mots comme sur des trottoirs trop hauts, son manque absolu de charisme, Raïssi vient d’être élu à la présidence de la république d’Iran avec 62% des voix. Ce disciple du guide suprême et son factotum de basses œuvres restera-t-il comme l’un des grands criminels de l’histoire ? Cette accusation ce n’est pas une ONG américaine qui la formule mais l’ayatollah Ali Montazeri, celui la même qui avait été désigné comme le dauphin de l’imam Khomeiny, qui la porte. Voici dans quelles circonstances : Le 15 aout 1988, trois semaines après le début d’une opération menée par la jeune république islamique qui conduira à la mort de plus de 30000 prisonniers politiques, l’ayatollah Montazeri demande à voir les quatre membres de la « commission de la mort » qui, c’est une fatwa de Khomeiny qui l’a ordonné, décide du sort des opposants à la révolution. Raïssi, alors âgé de 27 ans, en est son vice procureur. Le religieux pacifique est horrifié parce qu’on lui rapporte. Les révolutions naissent souvent dans le sang, et se poursuivent en épurations, mais lui ne cautionnera jamais cette campagne systématique d’exécutions de gens non jugés ou à la veille d’être relâchés parce qu’ils ont purgé leur peine : « Le crime le plus terrible perpétré en république islamique depuis la révolution et pour lequel l’histoire va nous condamner a été perpétré par vous. Et vous serez considéré au nombre des criminels de l’histoire » Incroyable témoignage ! On entend la voix claire de Montazeri, qui détache les syllabes de sa consternation, au cours d’un enregistrement dévoilé par son fils en 2016 pour la commémoration des 28 ans de « l’été sanglant ». « On déclenche une boucherie là bas (dans les prisons), on les retire des cellules et pan, pan ! Mais ou au monde se comporte t’on comme cela ? » s’étrangle ce fondateur de la république islamique « Elle avait 15ans. Le juge a dit que son frère avait été exécuté et qu’il fallait l’exécuter aussi. A Ispahan on a exécuté une femme enceinte !! » continue-t-il écœuré.
Lorsque l’ayatollah demande à Raïssi et ses acolytes de la « commission de la mort » de suspendre les exécutions pendant le mois sacré de Moharam, voici ce qu’on lui répond : « Pour Moharam, nous avons déjà un certain nombre de prisonniers que nous avons extrait de leurs cellules pour les interroger…Si on ne se prononce pas et qu’ils retournent dans leurs sections cela va créer des problèmes. Si vous le permettez, il y en a environ 200 personnes et quelques, on va les (exécuter)… » négocient conciliant Raïssi et ses collègues « Non je ne le permet pas ! » s’indigne Montazeri « le peuple va juger Khomeiny comme une figure sanguinaire et cruelle ! » Pour cette prise de position humaniste, l’ayatollah sera non seulement écarté de la succession de Khomeiny, mais restera toute sa vie en résidence surveillée jusqu’à sa mort en 2009.
« Raïssi c’est vraiment Eichmann vu par Hanna Arendt. Un bel exemple de la banalité du mal » analyse un politicien iranien , « Un fonctionnaire qui balbutie le credo du gouvernement du docte, un rouage utile de la république des mollah, un exécutant zélé des fatwas et basses œuvres de Khamenei, un « banal » antihéros aux actes monstrueux qu’il exécute parce qu’on lui en a donné l’ordre » Et quels actes, et quels ordres ! Un rapport d’Amnesty International détaille les massacres : les enfants assassinés parce qu’ils accompagnaient les parent à des manifestations, les fausses sépultures, les parents rafflés parce qu’ils se recueillent sur la tombe d’un proche…
Alors Raïssi est il seulement ce fonctionnaire falot authentiquement pénétré de la Weltanschauung (« vision du monde ») khomeyniste ? Il lui aura fallu pourtant plus que de la persévérance mais aussi une bonne dose d’ambition, pour gravir un à un tous les échelons du système répressif du régime des mollahs.
Son ambition pointe déjà dans le nom qu’il s’est choisi, car Raïssi n’est pas le nom de son père, petit mollah modeste de la région de Mashad. Lui se fait vite appeler Raïss-ô-ssadat : le président des sayyed, (les descendants du prophète). Tout un programme pour cet hodjatoleslam( sous-ayatollah) qui n’est pas allé plus loin que le collège. Dans la biographie qu’il a posté sur les réseaux sociaux, il se déclare donc descendant du prophète, par son père et par sa mère et par Zaïd, partisan de l’insurrection armée contres les Califes, ce qui l’autorise à arborer son turban noir et établit son culte de l’Islam armé.
Il a dix huit ans lorsque la révolution éclate en Iran et il fait tout de suite partie des zélateurs de l’actuel Guide Suprême, Ali Khamenei, qui habite à quelques centaines de mètres de chez lui à Mashad. Son premier fait d’arme révolutionnaire est le pillage très contesté du Palais des perles de la sœur du shah : 11 camions en sortent chargés de tout un mobilier historique qu’on ne reverra jamais. A 20 ans, il est déjà Procureur général de la ville de Karaj, à côté de Téhéran, chargé de poursuivre les ennemis du nouveau régime, attaqué au même moment par l’Irak de Saddam Hussein. Au lendemain de la révolution, Mr. Raisi épouse Jamileh Alamolhoda, une femme au visage sévère, toujours drapée dans un long tchador noir. Jamileh, professeur d’université et mère deux filles est la fille d’un religieux conservateur qui dirige la prière du vendredi à Mashad et qui avait été chargé par Khamenei de reprendre en main le Khorasan, une des régions les plus grandes et plus riches d’Iran, en y interdisant les concerts et la bicyclette pour les femmes. Il est ensuite envoyé par Khamenei à Hamedan, la ville natale de Bani Sadr, premier président de la République islamique d’Iran destitué en juin 1981, pour superviser la répression de ses partisans. Puis rappelé à Téhéran pour seconder le procureur de la toujours tristement célèbre prison d’Evin. Celle ou est détenue aujourd’hui l’avocate Nasrine Soutoudeh et ou Raïssi, distribue depuis qu’il préside aux destinées de la justice iranienne des peines de coup de fouets et de dizaines d’années de prison aux détenus politiques avec la prodigalité d’un juge du Texas.. Puis pendant que la guerre Iran-Irak fait des millions de morts, Raïssi continue de grimper les échelons du système judiciaire. De 18 à 27 ans, Raïssi, organise la répression, élimine physiquement la chienlit des contestataires qui affaiblissent la révolution : « c’est sa constance dans l’appareil répressif qui explique son incroyable ascension » confirme un diplomate. Jusqu’à l’apogée des massacres de 1988, dont le président fraichement nommé continue à soutenir la nécessité aujourd’hui.
Il sera ensuite procureur du puissant tribunal spécial pour le clergé, qui s’occupe des mollahs qui sont sortis du droit chemin comme Montazeri et ses disciples par exemple. A ce poste pendant près de 18 ans, il fait régner l’ordre parmi les religieux et étudie la mécanique de l’organisation de la terreur. En 2009, après la répression féroce frappant les manifestants contre la réélection controversée de l’ancien président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, M. Raïssi, alors premier adjoint du chef de la justice de l’époque, est chargé de traiter les plaintes sur les mauvais traitements dans les prisons (viols, tortures et décès). Son rapport final est sans surprises : les plaintes sont toutes diffamatoires et les personnes qui les ont formulées doivent être poursuivies par la justice. Touche finale pour compléter le trousseau du meilleur candidat à la présidence de la république islamique, le guide le nomme en 2016 à la tête du mausolée de l’imam Reza, le ¬huitième imam chiite à Mashad, et de la très riche fondation Astan Qods Razavi qui gère ses biens. Pendant trois ans, les aides dispensées aux plus pauvres par la fondation sont couvertes par les médias et les réseaux sociaux proches de Raïssi. Enfin nommé à la tête du pouvoir judiciaire en 2019 par le Guide, Ebrahim Raïssi modernise le système judiciaire, et vide les prisons surpeuplées aux deux tiers en allégeant les peines pour les chèques sans provisions et les dots en pièces d’or non payées (ces deux sujets concernent des millions de personnes en Iran). A la tête du système judiciaire, véritable Etat dans l’Etat qui constitue le quatrième holding financier d’Iran, Raïssi consolide la caisse qui servira à sa campagne en y déposant directement l’argent des amendes et des expropriations…
Fort de tous ces pouvoirs (financier, judiciaire, religieux), le président pourrait à terme prétendre à succéder au Guide suprême, âgé de 82 ans. « Khamenei a quatre fils, chacun avec des tribus qui se disputent. Aucun ne lui ressemble autant que Raïssi » explique l’analyste politique iranien Ahmad Salamatian. « Il a été le disciple d’Ali Khamenei, tout comme ce dernier a été l’étudiant de Ruhollah Khomeyni [le fondateur de la République islamique]. De plus, Ali Khamenei a été président [de 1981 à 1989] avant de devenir Guide. Ce serait donc une succession dans les règles du gouvernement du docte, d’autant que Raïssi préside la commission pour la succession du guide au sein de l’assemblée des experts »
Les dissidents politiques redoutent la présidence de Raïssi. C’est lorsqu’il était à la tête de l’autorité judiciaire (2019-2021) que l’ONG caritative Imam Ali, active dans la lutte contre la pauvreté, a été interdite. Tandis que, en 2020, le dissident Rouhollah Zam, exilé en France d’où il animait une chaîne d’information sur la messagerie Telegram, a, lui, été kidnappé à Nadjaf et exécuté. Et pourtant cette militante qui lutte pour le droit de ne pas porter le voile ne s’attend pas obligatoirement à des jours plus sombres pour la société civile iranienne sous la présidence Raïssi : « si la répression des mœurs ne rend plus service à la république islamique, alors il assouplira les règles » Signe de cette éventualité, Raïssi a annoncé que le rappeur dissident Amir Tataloo exilé en Turquie pourrait rentrer en Iran. En échange celui-ci a fait campagne pour l’ultra conservateur…
Autre nouvelle paradoxale : alors qu’il y a quatre ans, à l’époque candidat à la présidentielle face au président Hassan Rohani, Ebrahim Raïssi n’avait manqué aucune occasion de s’en prendre à l’accord conclu en 2015 avec la communauté internationale, cette fois, il a adopté un ton beaucoup plus nuancé. « Nous considérons l’accord comme un contrat que le Guide suprême a validé et nous nous engageons à le respecter », a-t-il soutenu lors d’un débat télévisé avec ses rivaux.
D’ailleurs, les partisans d’une realpolitik voient dans l’élection d’un conservateur à la présidence de la République, la fin de l’inertie et des complications que génèrent un pouvoir bicéphale. « Certes, la relation avec l’Occident sera plus rude, anticipe un diplomate. Mais on aura, au moins, un gouvernement qui fera ce qu’il dit. Alors que sous Hassan Rohani, les mots du ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, n’engageaient que lui, nous entrainant dans des exégèses et des allers retours inutiles » Dans un entretien avec l’économiste Sayeed Leylaz, qui avait fuité dans la presse américaine, le ministre des affaires étrangères iranien se plaignait de l’interférence constante des gardiens de la révolution dans la conduite de la politique étrangère, et exposait son manque complet de pouvoir. « Les choses devraient être plus claires désormais alors que l’Iran a renoncé à apparaître comme un régime démocratique qu’il n’est pas » continue le diplomate. Si les Etats-Unis, la communauté internationale et l’Iran arrivaient à reprendre la voie des négociations, ce serait le régime et non pas un gouvernement réformateur qui serait crédité de l’amélioration de la situation économique. Reste que, comme le déplorait le secrétaire d’État américain Antony Blinken, le « délai de rupture » dont l’Iran a besoin pour fabriquer une bombe atomique pourrait être réduit à quelques semaines seulement, si Téhéran continue de violer l’accord de 2015 limitant son programme nucléaire. Soutenu par la Russie, puissance influente dans la région, l’Iran a progressé sur tous les fronts. Et si il fallait désormais traiter avec Raïssi comme avec Kim Jong-un ?