Reportage

Elections américaines, midterm 2018: La vague rose, les femmes contre Trump

Midterms

La vague rose, les femmes contre Trump

De notre envoyée spéciale aux Etats-Unis, Sara Daniel

Le pays n’avait pas vu un tel engagement citoyen depuis l’émergence du mouvement des Tea parties en 2009. La « pink wave » déferle sur le parti démocrate. Mais cela suffira –t-il a enrayer son déclin et à défaire Trump ?

Elle se jette dans les bras de Bella Note,  un grand transsexuel à perruque verte et au décolleté pigeonnant. Félicite un comédien shemale d’origine asiatique qui fait rire l’assistance en racontant que sa Grand mère a planté un stylo dans la main d’un élève qui l’avait traité de sale Jap (japonais). Fait des hugs chaleureux a chacun de ses électeurs, en riant de bonheur comme si elle était surprise de retrouver un ami. C’est certain, Alexandra Ocasio Cortez, 29 ans, candidate démocrate aux mid terms, sait y faire.

A Sanger Hall, ce café du quartier mi ouvrier mi bobo de Sunny side, dans le Queens, où ses supporters ont réuni un groupe de fans gay friendly,  il y a de la bonne  musique, de la bière et de délicieux hamburgers aux piments. Tout le monde se parle, heureux d’être ensemble.  Orianne, la jolie patronne du bar est  ravie d’accueillir la nouvelle star du parti démocrate : «  Elle est exactement ce dont l’Amérique a besoin ! » .

La semaine prochaine, la jeune femme a de grandes chances de devenir la plus jeune élue de l’histoire du Congrès des Etats-Unis. Elle a créé la surprise en juin,  à  la primaire démocrate de la 14 ème circonscription de New York en dégommant, Joseph Crowley, un pilier du parti démocrate de  58 ans dont 20 au congrès. Aujourd’hui,  elle s’apprête à affronter le candidat républicain Anthony Pappas. Ce prof d’économie de 72 ans, aux prises avec un divorce très conflictuel, a peu de chance contre la jeune latina dans ce district qui vote à 75% démocrate.

La fulgurance de l’ascension d’Alexandra fait qu’on la présente comme l’espoir de la gauche américaine, une jeune Hillary Clinton. D’ailleurs sa courte biographie a déjà l’étoffe d’un destin. Née dans le Bronx, de mère porto ricaine, elle habite aujourd’hui un deux pièces à Parkchester et n’a pas encore cherché d’appartement à Washington où elle devra s’installer après les élections. Au Lycée, elle remporte un prix international de science qui décide le MIT a choisir son nom pour baptiser un astéroïde (23238 ocasio-cortez). Etudiante à l’université de Boston, elle collabore avec le sénateur Edouard Moore Kennedy  sur les questions d’immigration. Lorsque son père meurt d’un cancer du poumon, elle se fait embaucher  comme serveuse dans un bar à tacos a Union square  pour aider sa mère à joindre les deux bouts. Puis, celle qui se présente comme une « socialiste démocrate », milite pour Bernie Sanders, avant de forcer la porte du parti démocrate et de devenir la coqueluche des médias anti Trump.

Alexandra Ocasio mid terms 2018 Us elections

Mais la jeune femme n’est elle pas trop a gauche pour avoir un destin national ? Lorsqu’on lui pose la question dans ce bar ou elle se sent en famille, Alexandra se raidit ; Elle n’aime pas beaucoup les journalistes auxquels elle interdit souvent la porte de ses meetings. Elle nous explique pourtant  que c’est en réformant l’économie qu’elle pourra gagner le cœur et les esprits des électeurs de Trump. Mais son registre de campagne c’est l’amour.  Contre les discours de haine du président il faut créer un monde d’affection explique t-elle : « on ne peut pas haïr quelqu’un de près. La haine se dissout quand on parle aux gens ». Son optimisme peace and love est contagieux.  Elle a la voix chaude et roulante de Jennifer Lopez, fait de grands gestes, chante ses slogans. On dirait une comédienne ou un  prédicateur évangéliste. Les ouailles de celle qui se présente comme une « socialiste démocrate » cette après midi sont des transgenres et des couples bi,  et l’observateur étranger ne peut s’empêcher de penser qu’il va être difficile de trouver un terrain d’entente entre cette Amérique bobo et gay friendly et celle des électeurs de Trump. D’ailleurs  celui ci vient de faire de la révision des  droits des transgenres un argument de campagne…

Howard, un avocat aux grands yeux bleus, éconduit un électeur qui lui fait de l’œil mais accepte de poser pour sa photo destinée à inciter à voter. Il militait aussi dans l’équipe de campagne de Bernie Sanders, puis tout naturellement a rejoint la candidate la plus prometteuse de la gauche du partie démocrate. Porte-à-porte, «phone banking» (les volontaires téléphonent à la chaîne aux électeurs de leur district), meetings, il se donne pour sa championne :  « Dans les bureaux de vote pour  la primaire, j’ai vu un ras de marée d ‘électrices femmes qui ont dégagé le candidat de l’establishment, c’était historique ! » s’enthousiasme t-il.Bien sûr, Howie sait que Alexandra est très à gauche, d’ailleurs dans ce district, elle n’a pas besoin de s’en cacher : son programme est calqué sur celui de Bernie Sanders : salaire minimum de 15 dollars, assurance chômage universelle « dans ce pays un job devrait être suffisant pour vivre » énonce t-elle en détachant ses mots devant son auditoire conquis.

Le renouveau d’un parti démocrate à l’agonie viendra t-il de sa gauche ? Pour les millénials progressistes, le mot socialiste n’est plus un gros mot. La génération qui s’est ouverte à la politique pendant la crise des sub primes de 2008 a bien conscience du fait qu’en Amérique les inégalités ne cessent de s’accroitre et que le rêve américain de mobilité sociale est à l’arrêt. D’ailleurs Ocasio-Cortez n’est pas la seule candidate

à défendre des programmes plus à gauche que celui de l’establishment démocrate et à être issues des minorités. Dans le Massachusetts, Ayanna Pressley, africaine américaine  a battu un pilier du parti démocratique.. En Georgie, Stacey Abrams, a été la première Africaine américaine a être nominée pour un poste de gouverneur aux Etats unis.

Queens_ mid terms 2018 US elections

La femme est donc l’avenir du parti démocrate ! C’est une lame de fond, le phénomène politique majeur de ces dernières élections. Dans l’histoire de la vie politique américaine, jamais autant de  femmes n’avaient  remporté la nomination de leur parti. Selon les chiffres du Center for American Women in Politics , 234 femmes sont candidates (dont 187 démocrates) à la Chambre des représentants cette année, soit 40% des candidates ( contre 167 femmes, en 2016). Elles sont 23, dont 15 démocrates, à se présenter au Sénat, et 16 à faire campagne pour des postes de gouverneurs,  un bastion traditionnellement masculin. Une véritable révolution est donc en marche, quand  on sait que la population est composée à 70 % de femmes et de minorités, tandis que le Congrès comprenait lui jusqu’ici 71 % d’hommes blancs. . Selon l’Inter-Parliamentary Union, les Etats-Unis sont au 103e rang mondial de la représentation des femmes avec seulement 22% d’élues au Congrès, (la France est 14e)…

Femmes vétérans et ex pilote comme Mikie Sherrill, candidate du New Jersey

à la Chambre des représentants, prof d’histoire comme  Jahana Hayes (Connecticut), vocate comme Rashida Tlaib qui deviendra presque certainement la première femme musulmane au Congrès (Michigan), ou pdgére de l’industrie et première candidate transgenre a un poste de gouverneur comme Christine Hallquist (Vermont)   les femmes de la société civile, menant des campagnes de terrain sont très bien accueillies dans leurs circonscriptions.

Cette « pink wave », vague rose, de candidate majoritairement anti trump aux élections de mi-mandat a plusieurs explications.

D’abord le mécanique remplacement des générations : Beaucoup d’anciens élus ne se représentent pas, rendant la compétition pour leur remplacement plus accessible.

Ensuite, la violence de la  campagne sexiste que Trump à mené contre Hillary Clinton et ses commentaires d’une vulgarité inouïe exhumés par la presse (« quand on est une star , elle nous laissent faire. On fait tout ce qu’on veut…cela permet d’attraper les femmes par la chatte) , en continuant par les scandales sexuels, ont décidé de nombreuses associations à financer des candidatures féminines( Women Donors Network, de la Women’s March, ou encore d’Emerge America).

Les auditions puis la confirmation de Brett Kavanaugh à la Cour suprême, malgré des accusations d’agressions sexuelles, ont profondément divisé le pays voire les familles comme nous l’explique Marc Lilla, auteur d’un essai stimulant sur la gauche identitaire « on aurait dit l’affaire Dreyfus, cela divisait les familles. Et j’ai du écourter des conversations avec des amis qui devenaient trop conflictuelles »

Ainsi, alors que le mouvement mee too fête son premier anniversaire, la question « Kavanaugh » (ce juge de la cour suprême accusé d’agression sexuelle et soutenu par Trump)  est devenue un des thèmes fondamentaux de la campagne, au même titre que  le health care ou l’immigration. Et le positionnement sur ces questions un vrai marqueur d’appartenance politique. Les républicains ont fait de l’audition du juge suprême un signe du mac carthysme d’une  gauche identitaire et hystérisée. Les démocrates, le symbole du non respect de la parole des femmes. « il est regrettable que me too et ses conséquences soient devenues la question centrale des élections. Car le plus important c’est Trump lui même et ce que font les Républicains pour modifier la structure  démocratique de notre gouvernement. » analyse Marc Lilla.

Reste à savoir comment réagiront  à cet afflux de candidates, les électrices dont tous les analystes s’accordent à dire qu’elles auront un rôle déterminant pour faire passer la chambre des représentants du coté démocrate. Mais le vote des femmes n’est pas monolithique ; A part peut être celui des femmes noires qui ont voté à 94 % pour Hillary Clinton à l’élection présidentielle.  En fait la grande question est de savoir si les femmes blanches qui ont voté Trump à 52 %, regrettent aujourd’hui leur vote pour un candidat dont le mépris pour les femmes a été érigé en argument électoral.  Autre électorat dont l’importance sera capitale pour le parti démocrate, celui des femmes latinos (les électeurs latinos sont 29 millions et ils votent de moins en moins aux élections de mi mandat.  ). Malmenées par Trump a double titre, celui de leur communauté et celui de leur sexe, il sera pourtant difficile de  convaincre les latinas,  segment de population désenchantée, qui pense que les politiciens de Washington les ont abandonnés depuis longtemps de retrouver le chemin des urnes. A moins que la jeune candidate portoricaine du Bronx, Alexandra Ocasio Cortez, réussisse à les convaincre que le rêve américain peut encore être le leur.

Sara Daniel