Reportage

La sainte guerre des fous de Rama

C’est une ville abandonnée aux singes. Dans les ruelles sales du centre d’Ayodhya, ils trônent devant les temples jaune d’oeuf ou bleu cobalt, agressifs et indifférents aux hurlements des télés qui montrent des acteurs ventripotents, incarnant le dieu Rama, le roi mythique des hindouistes. Parfois, ils attaquent les centaines de militaires qui gardent ce qui est devenu, le 6 décembre 1992, la capitale du conflit intercommunautaire entre musulmans et hindous.

Ce jour-là, des milliers de fanatiques hindouistes, ascètes religieux à demi nus ou jeunes en jean et bandana safran, venus de plusieurs Etats de l’Inde, convergent vers Ayodhya pour accomplir une mission sacrée : détruire la Babri Masjid, une mosquée datant du XVIe siècle. Edifiée par Bâbur, fondateur de la dynastie moghole, elle est supposée être bâtie sur le lieu même de la naissance de Rama, là où s’élevait jadis un temple à sa gloire. Les fous de Rama comptent le reconstruire. A leur tête, L. K. Advani, un ancien critique de cinéma devenu chef du Bharatiya Janata Party le BJP, parti nationaliste hindou, qui s’est fait transporter du Gujarat à Ayodhya, comme le dieu-roi qu’il vénère, sur une voiture transformée en char. A la suite de la destruction de la mosquée, 2 000 personnes trouveront la mort dans des affrontements entre la majorité hindoue (80,5%) et la minorité musulmane (13,5%). Ayodhya devient le lieu symbole de la revanche de la passion communautaire sur la laïcité que Nehru avait rêvée.

Aujourd’hui le site de la Babri Masjid ressemble à une caserne. Le gouvernement a acheté le terrain pour le soustraire aux factions rivales. Mais il autorise les hindouistes à venir se recueillir sur ce qu’ils croient être le lieu de naissance de Rama, avant que les tribunaux ne tranchent la querelle. Après plusieurs barrages et fouilles minutieuses, le visiteur progresse dans un long tunnel. Au bout, sous une tente de plastique, un autel est dressé où l’on aperçoit, entre les barbelés, une statue en stuc de Rama, en compagnie de Hanuman, le dieu-singe. Des policiers essaient de maintenir à distance les centaines de singes, bien réels ceux-là, que la présence des offrandes de sucreries rend fous.

Non loin, un porte-parole du Vishva Hindu Parishad (VHP), l’aile radicale du BJP, fait visiter un vaste terrain où sont entreposées les pierres du futur temple. «Nous avons une liste de mosquées qui devront être détruites, comme celle de Bénarès, explique- t-il. Le terrorisme islamiste a 1 000 ans. Bâbur, aussi, était un terroriste. Si nous unissons nos forces avec les Occidentaux et les Israéliens, nous pourrions en finir avec eux, une fois pour toutes…»

Sara Daniel

Le Nouvel Observateur