Reportage
Sans voile ni insigne
Elle ressemble à Monica Bellucci sans son air nostalgique. La superstar du cinéma iranien est une jeune femme radieuse qui, malgré les pressions de Téhéran, s’affiche dans les rues de Paris bras et tête nus. Golshifteh Farahani, 26 ans, a déjà à son actif plus d’une vingtaine de films dont «Mensonges d’Etat» de Ridley Scott qui l’a contrainte à l’exil. Paradoxale, elle qui abhorre le régime en place à Téhéran, déclare ne pas pouvoir s’empêcher d’être impressionnée par le président Ahmadinejad parce qu’il tient tête aux grandes puissances sur la question nucléaire. Et pourtant, lorsqu’on lui demande si les partisans du président aiment ses films, elle éclate de rire, étonnée de notre naïveté, affirmant qu’«Ahmadi» ne compte aucun partisan en Iran… Elle veut pouvoir dire sa vérité : «En Iran, on passe son temps à mentir, pour vivre, pour protéger les siens. Cela devient une seconde nature…» Alors tant pis si ses opinions risquent de rallonger le temps de son exil, loin de ce pays et de sa famille qu’elle adore. Et si «A propos d’Elly», le joli film actuellement à l’affiche en France, où elle porte le voile et parle le farsi, est le dernier film qu’elle peut tourner en Iran…
Golshifteh est née pendant la guerre contre l’Irak dans une famille d’artistes et d’intellectuels. Elle repense encore parfois à cet abri où elle attendait avec angoisse son père, un acteur célèbre, pendant les bombardements. Avec fierté, elle aime évoquer le berceau de sa famille, le centre de l’Iran, qui, dit-elle, a donné de grandes poétesses zoroastriennes. «Pour mes parents, les artistes étaient des messagers des dieux.» Mais pour leur fille, le couple avait rêvé d une carrière de concertiste classique, pas d’actrice. Alors c’est en cachette que Golshifteh fait ses débuts dans «le Poirier», de Dariush Mehrjui. Et comment aurait-elle pu refuser de jouer dans les films du Marcel Carné iranien ? «C’est l’homme qui a sauvé le cinéma en Iran» , s’enthousiasme-t-elle. Car pendant la révolution islamique l’ayatollah Khomeini bannit un temps le cinéma, art bourgeois et dévoyé. C’est «la Vache», le magnifique film de Mehrjui, qui le fait changer d’avis… «J’aime les films qui contiennent des messages» , explique l’actrice. Dans «A propos d’Elly» (ours d’argent au Festival de Berlin), une bande de copains quitte Téhéran pour aller en week-end sur les bords de la mer Caspienne. Par trois fois, le groupe d’amis vote pour prendre une décision : pour choisir de rester ou non dans la maison délabrée qu’on leur propose, statuer sur ce qu’ils pensent de leur invitée et enfin pour opter de dire ou non la vérité au fiancé d’Elly. «Cela montre l’importance du vote, de la démocratie. Mais aussi ses limites dans un pays où le poids des traditions est si pesant…» Lorsque Ridley Scott choisit Golshifteh pour jouer l’héroïne de son film «Mensonges d’Etat», il ne réalise pas à quel point il va bouleverser la vie de la jeune actrice. A Hollywood, les règles sont presque aussi strictes que celles de la République islamique : les studios ne peuvent pas embaucher la jeune femme parce qu’elle réside en Iran. «J’étais associée à «l’axe du Mal», au gouvernement, alors que toute ma famille appartient à l’opposition…» S’apprêtant à renoncer, la jeune actrice finit par être envoyée in extremis au Maroc où le tournage a déjà commencé. Leonardo DiCaprio joue le rôle d’un agent de la CIA qui tombe éperdument amoureux d’elle. C’est la consécration : «Pour la première fois, je me suis sentie fière de jouer la comédie. En Iran, c’est un métier honteux.» Ce que la République islamique lui rappelle après que la jeune actrice eut choisi d’apparaître sans son voile à la cérémonie des Oscars : «J’étais accusée d’être une prostituée à la solde de la CIA et Ridley Scott d’être un agent de la «revolution de velours»»… Quand Golshifteh retourne dans son pays, on lui confisque son passeport et on harcèle poliment mais fermement ses metteurs en scène. «En Iran, on n’interdit pas, on suggère. Quelqu’un vous envoie un SMS : cela serait vraiment mieux que vous n’employiez pas cette fille…» Alors pour ne pas être interdite d’image, elle profite d’une sortie du territoire de vingt-quatre heures qu’on lui a accordée pour fuir avec la protection des douaniers de l’aéroport, en adoration devant leur actrice favorite. Aujourd’hui, alors que la révolte gronde, elle se désole de ne pas être en Iran : «Toute ma vie, j’ai attendu ce moment et je n’y participe pas… J’enrage !» Pour ne pas rester à l’écart de ses amis qui luttent, Golshifteh enregistre un album avec un célèbre musicien iranien, Mohsen Namjoo, exilé lui aussi en France et menacé de prison, à cause du contenu trop réaliste de ses chansons. «Je vais chanter pour lui alors que le chant féminin est interdit en Iran…»
Pourtant, contrairement à beaucoup de ses amis iraniens à Paris, elle ne porte pas de vêtements ni d’insignes verts, la couleur de la révolte. Et celle de Moussavi, le chef de l’opposition, dont elle se méfie parce qu’il est un pur produit de la révolution de 1979. «Il faut rester vigilant, se demander toujours pourquoi et pour qui on combat.» Golshifteh, sans voile, sans insignes, sans couleur politique, ne revendique que la liberté.
SES DATES
Juillet 1983. Naissance à Téhéran.
Février 2008. Le gouvernement iranien confisque son passeport.
Août 2008. Quitte l’Iran.
Juin 2009. Elections iraniennes et début de la «révolte verte».
Sara Daniel