Reportage

Les iraniens parlent aux Iraniens

Elle enrage d’être là, dans ce petit morceau d’Iran niché au coeur de Portland Place à Londres. Si près mais si loin de chez elle. Le soir, avec ses copains de la rédaction de la dùl en farsi, elle écoute en frissonnant, au téléphone, la clameur des «Allah Akbar» qui montent des toits de Téhéran. En Iran, où 30% de la population dispose d’antennes paraboliques, Pouneh Ghoddousi est une star: «A votre tour», son émission, donne la parole aux auditeurs. Au plus fort de la crise qui a secoué l’Iran depuis l’élection contestée du 12 juin, ce programme était diffusé quatre fois par jour.

Comme la plupart des 140 personnes qui s’activent dans les bureaux design de la BBC perse, Pouneh était journaliste à Téhéran, pour le «New York Times». Puis elle en a eu assez d’être sans cesse interrogée et harcelée par les fonctionnaires du ministère de l’Information. Même itinéraire pour Sina Motallebi, un célèbre blogueur qui a été emprisonné à la prison d’Evin, parmi des assassins et des violeurs, et qui supervise aujourd’hui les émissions sur internet. Ou Kambir Keramati, qui dirige le journal télévisé, et qui tremble à l’idée de ne pouvoir retrouver son épouse restée à Téhéran.
Tous ces jeunes journalistes vivent au rythme de l’Iran, en contact permanent avec leurs amis, leurs familles, leurs informateurs. «Nous savons tout ce qu’il s’y passe, mais c’est si frustrant de ne pas être surplace», soupire Pouneh. Sur leurs messageries, des mails arrivent sans discontinuer: «Moussavi a décidé de créer un parti, politique»…

«Grande manifestation prévue jeudi pour commémorer les dix ans des révoltes estudiantines»… «Desjournalistes de l’agence de presse officielle iranienne Fars auraient démissionné pour marquer leur désapprobation.» La présentatrice s’enflamme: «Bien sûr, il faut vérifier, mais ce serait une nouvelle considérable!» Considérable, en effet. L’agence Fars a été le fer de lance des attaques menées par le régime contre la BBC en farsi, l’accusant d’être un instrument de guerre aux mains des sionistes. Il y a quelques jours, le chef de la justice, l’ayatollah Sharoudi, a même interdit toute coopération avec la rédaction de Londres, sous peine de sévères représailles. «Désormais, nous mettons en danger ceux que nous contactons, même par téléphone…»

La télévision officielle iranienne diffuse quotidiennement de fausses confessions. Ainsi celle de cette femme expliquant que c’est une émission de la BBC perse qui l’avait incitée à lancer des grenades dans la rue. Pouneh a justement consacré sa dernière émission au thème des confessions forcées. A suivi un étrange appel: celui d’un agent des services de sécurité de Khorasan, à l’est de l’Iran, lui disant combien il était désolé… Mais c’est un autre témoignage qui l’a le plus bouleversée: «Un Iranien qui vivait à Londres venait d’apprendre que son frère de 17ans avait été tué dans les manifestations. Une savait pas comment apprendre la nouvelle à ses parents…»

Pour elle, son travail s’inscrit dans le prolongement des événements qui ont suivi le 12juin: «Les Iraniens qui étaient en colère dans leur coin ont compris qu’ils n’étaient plus seuls. Aujourd’hui, ce désenchantement collectif est devenu une force. On verra ce qu’il deviendra…»