Reportage

Le grand écart d’Islamabad

Ces attaques s’inscrivent-elles dans une stratégie délibérée ? Sans aucun doute. Liés à Al-Qaida et aux groupes de combattants islamistes, qui considèrent les territoires frontaliers de l’Afghanistan comme leur sanctuaire, les talibans pakistanais cherchent à dissuader l’armée d’Islamabad de poursuivre l’offensive d’envergure qu’elle mène actuellement dans le Waziristan du Sud. Ils tentent donc d’étendre la zone de guerre à d’autres régions, comme celle du Waziristan du Nord ou de la vallée de Swat. Tout en exerçant une très forte pression sur un gouvernement déjà peu stable et d’autant plus fragilisé aux yeux de l’opinion qu’il paraît incapable de parer des attentats qui frappent la capitale et les différentes métropoles.

Mais comme rien n’est simple au Pakistan, il ne faut pas non plus oublier le rôle trouble que continuent de jouer les services secrets d’Islamabad. Car la redoutable ISI, le service de renseignement pakistanais, cherche toujours à infiltrer, parfois même à manipuler, la plupart des groupes fondamentalistes. Or même si, depuis le 11-Septembre, ses liens avec les talibans afghans ou pakistanais se sont distendus, «l’Etat profond» pakistanais continue de les considérer comme des alliés objectifs. Soit pour frapper l’Inde, qu’il estime être toujours son principal ennemi, soit pour contrôler indirectement l’Afghanistan, une sorte d’arrière-cour qui lui offre une profondeur stratégique face à New Delhi. Si bien que les services secrets pakistanais font en permanence le grand écart. Partagés entre l’obligation de donner satisfaction à Washington, qui exige des résultats réels dans la lutte contre les insurgés islamistes, et une volonté manifeste de préserver cette force de réserve qui leur a rendu tant de services. Un jeu dangereux qui commence à leur échapper.

Sara Daniel