Reportage

Iran : la révolution des képis…

C’est une révolution opaque, un coup d’Etat contre les mollahs au sein de la République des mollahs qui se trame dans le huis clos des bureaux de la garde rapprochée du Guide suprême. Entre la vieille garde des turbans et les pasdarans, «notabilisés» depuis leur participation à la guerre Iran-Irak, les couteaux sont tirés. Trente ans après la prise du pouvoir par les religieux en Iran, c’est le plus puissant d’entre eux, Ali Khamenei, le Guide suprême, qui a décidé de mettre un terme à une domination qui n’avait cessé de s’éroder pour mettre en avant les militaires du régime. Mais, pour achever cette militarisation de la République islamique, le Guide suprême n’a pas eu besoin d’évoquer les menaces américaines, d’instaurer un état d’urgence ou de proclamer la loi martiale. Il s’est contenté d’«organiser» soigneusement les élections législatives de ce vendredi 14 mars.

Pour les experts en décryptage des paradoxes de la République islamique, cette évolution n’est guère surprenante. «Voilà des années que le Guide suprême prépare cette substitution du réseau des gardiens de la révolution au réseau des mollahs. Sous son turban s’est toujours caché un képi. Le plus clair de son temps, il le passe à gérer les forces armées , explique un politologue iranien. Et il a compris que, face au dynamisme des jeunes générations qui ne se reconnaissent plus dans le substrat idéologique du régime, le pouvoir ne peut résister que s’il se militarise.» Alors le Conseil des Gardiens de la Révolution a fait le tri des candidatures. Pour la première fois, dans un pays qui prend un soin orgueilleux à se présenter comme une des seules démocraties de la région, plus de 2 000 candidats aux élections ont été écartés pour des raisons idéologiques et religieuses par les commissions du ministère de l’Intérieur. Mohammad Khatami, chef de file des réformateurs et président de la République islamique de 1997 à 2005, a évoqué cette disqualification massive comme une «catastrophe» qui pourrait «mettre en danger le système et la société» . Sans surprise, donc, le clan des réformateurs sera le grand perdant de ces élections, puisqu’ils ne seront en lice que pour 111 des 290 sièges du Parlement. Mais les proches de Rafsandjani aussi ont été affaiblis et ont été dissuadés de se présenter. Celui-ci – qui dirige encore l’Assemblée des Experts chargée, en théorie, de contrôler la nomination du Guide suprême – n’a cessé en fait de perdre du pouvoir.

«Aux premiers temps de la révolution islamique, le pouvoir était tricéphale. Il y avait le fils de Khomeini, qui dirigeait les services de renseignement, Rafsandjani, à la tête des mollahs et du Bazar, et Khamenei, qui contrôlait les organisations révolutionnaires. Ce dernier a évincé tous ses rivaux jusqu’à concentrer dans ses mains tous les pouvoirs régaliens , explique un ancien apparatchik. Dans ce contexte le président de la République Ahmadinejad, dont le mandat s’achève, n’a servi au Guide que pour lui permettre de se débarrasser de ses rivaux :il a joué la politique du pire parce qu’il avait besoin de cette phase de populisme pour évincer Rafsandjani. Or c’est chose presque faite.»

Car l’autre enjeu de ces élections est de montrer le caractère interchangeable du président Ahmadinejad. Ce scrutin est donc, en même temps, une primaire dans le clan conservateur, destinée à sélectionner les futurs candidats à l’élection présidentielle. Face aux «hommes de principe» , comme se sont baptisés les hommes du président iranien, les «pragmatiques» comptent l’ex-négociateur du dossier nucléaire, Ali Larijani, qui a admis avoir eu des différends avec le président sur la stratégie à adopter vis-à-vis des puissances occidentales, Mohammed Qalibaf, le populaire maire de Téhéran, et un ex-commandant des gardiens de la révolution, Mohsen Rezaii. Tous les trois représentent des courants toujours conservateurs, mais qui pourraient empêcher les décisions du président au sein du Parlement. Quel courant sortira vainqueur des élections ? Ahmadinejad, et son populisme, peut-il l’emporter dans les campagnes malgré sa gestion désastreuse de l’économie qui a plongé le pays dans le marasme, alors que le prix du pétrole triplait ? Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’une vie politique qui n’en manque pas. Cela dit, les élections ont beau être «arrangées» et se disputer entre des candidats triés sur le volet, la bataille électorale est âpre, et il est difficile de voir, à terme, qui l’emportera. Seule certitude : derrière ce paravent démocratique, le Guide suprême consolide son pouvoir, achève de boucler le régime et s’aliène un peu plus encore les mollahs et la société civile.

Sara Daniel