Reportage
Le Tchad et le Soudan se livrent à une guerre par rebelles interposés
Quelles sont les racines du conflit qui frappe le Darfour ?
– Le Darfour est une région de l’ouest du Soudan, grande comme la France, qui compte 6 millions d’habitants. Parmi ces habitants, il y a eu, selon l’ONU, 200.000 morts, et 2,5 millions de personnes déplacées ces quatre dernières années. La situation ne s’est toujours pas améliorée, et ce, malgré l’accord de paix signé le 5 mai 2006 à Abuja. Le gouvernement de Khartoum en est le principal responsable. En armant les milices Djandjawids, qui sont d’ailleurs escortées par l’armée soudanaise, le gouvernement est responsable des massacres. Tout a commencé quand les populations du Darfour ont compris qu’elles étaient mises à l’écart des richesses du pays. Un mouvement de revendications s’est alors formé -prise de l’aéroport d’Al-Facher, la capitale du Nord du Darfour- suivi par une terrible répression orchestrée par Khartoum. Certains mettent en avant la nature raciale et ethnique du conflit, mais ce n’est pas la raison principale. Le c?ur est bien la répression d’un mouvement de rébellion. Et le gouvernement est coutumier du fait: le pays sort d’un conflit entre le gouvernement et les rebelles du sud de John Garang qui a fait près de 2 millions de morts.
Vous êtes partie trois semaines au Tchad et au Darfour, quelle est la situation là-bas ?
– Je suis partie au Tchad, et, de là, j’ai pu me rendre au Darfour plusieurs fois. Mon objectif était de rencontrer des rescapés du Darfour qui sont allés au Tchad pour bénéficier de la protection d’ Idriss Deby (président du Tchad). Mais le conflit s’étend désormais au Tchad. Tout d’abord, sont venus s’ajouter aux camps de réfugiés, les déplacés du Tchad, d’autre part la frontière entre les deux pays est loin d’être un frein aux expéditions meurtrières des Djandjawids. Ces derniers bombardent même les zones frontalières. Le Tchad et le Soudan se livrent, en fait, à une guerre par rebelles interposés. Dans les camps tchadiens, la situation sécuritaire est très dégradée. Les camps sont très vulnérables. L’armée tchadienne, censée protéger les réfugiés, pratique, elle aussi le racket. Le viol des femmes est courant. Dans certains camps, les conditions de sécurité sont passées au niveau 4 selon l’échelle de l’ONU. Plusieurs ONG ont donc commencé à se replier. A Bahaï au Nord, j’ai vu moins de 10 personnes appartenant à des ONG pour 26.000 réfugiés. La situation est désastreuse.
Quelle est l’attitude de la communauté internationale ?
– La Chine, qui exporte 65% du pétrole soudanais, bloque tout. Il y a, en ce moment, plein d’ingénieurs chinois qui ont pris leurs quartiers à Khartoum. Dès que le conseil de sécurité de l’ONU veut voter une résolution, la Chine s’y oppose. Il y a des pressions exercées sur le gouvernement chinois, mais elles n’ont que peu d’effet. Les Etats-Unis sont dans une situation contradictoire. Ils sont les premiers à avoir parlé de « génocide ». Mais, depuis le 11 septembre 2001, ils ont fait du Soudan un de leur partenaire dans la lutte contre le terrorisme. Enfin, la France, qui soutient Deby au Tchad, pense toutefois qu’il ne faut pas ostraciser Omar-El-Béchir (président du Soudan depuis 1993) pour ne pas en faire une victime et activer ainsi une nouvelle zone d’instabilité. La communauté internationale s’indigne beaucoup, mais elle est empêtrée dans ses contradictions et la situation ne bouge pas.
Propos recueillis par Simon Piel
(le mardi 13 mars 2007)