Reportage
Une femme au gouvernement
Pour la première fois dans l’histoire de l’Arabie Saoudite, une femme est entrée au gouvernement du royaume wahhabite. Noura al-Fayez, 52 ans, cinq enfants, formée aux Etats-Unis et à l’Université du Roi Séoud, vient d’être nommée vice-ministre de l’Education, chargée des «affaires des filles» . Bien sûr, dans cette monarchie ultraconservatrice où les femmes n’ont pas le droit de travailler, la vice-ministre n’aura pas le droit de conduire sa voiture ni de voyager ou d’aller voir un médecin sans l’autorisation d’un membre masculin de sa famille. Mais pour les femmes saoudiennes cette nomination est une porte entrouverte : «Nous avons longtemps souffert qu’un homme occupe ce poste» , a reconnu la nouvelle ministre.
Quel sens donner à cette nomination ? Traduit-elle une réelle volonté d’ouverture de la part du roi Abdallah ou le souci d’apaiser les Etats-Unis, qui pressent le royaume de s’engager sur la voie des réformes depuis les attentats du 11 septembre 2001 ? Sans doute les deux à la fois. Car le remaniement ministériel s’est accompagné d’autres nominations et d’autres limogeages, qui sont autant de signes adressés par le roi. Tandis que le chef de la Mutawa – la redoutée police religieuse -, qui avait autorisé l’exécution des propriétaires de chaînes de télévision accusées de diffuser des clips vidéo, était écarté, la composition du Conseil des Grands Oulémas était aussi modifiée : désormais, il ne sera plus uniquement composé des représentants de la doctrine hanbalite, dont est issu le wahhabisme.
Selon Nabil Mouline, spécialiste de l’Arabie Saoudite à l’Institut d’Etudes politiques de Paris, la nouvelle consigne dans le royaume est la diversification des élites dirigeantes. Les dernières nominations essaient de traduire cette volonté de dialogue et d’ouverture. Elles s’inscrivent aussi dans la continuité des «réformettes» engagées après la guerre d’Irak pour améliorer la respectabilité au pays. Réformes qui ont débouché sur la première expérience électorale qu’ait jamais connue l’Arabie Saoudite en 2005. «Mais il ne faut pas exagérer leur importance , met en garde Nabil Mouline. Elles ne constituent pas une rupture avec la tradition. Au contraire, leur but est de renforcer cet Etat patrimonial qui s’est associé avec l’establishment religieux pour monopoliser la plupart des fonctions.» Car ces réformes et ces nominations symboliques s’insèrent aussi dans la lutte pour la succession en cours. Dans un pays où le souverain a 89 ans et le prince héritier 86 ans, ce sont les petits-fils du roi, réunis au sein d’un «comité de l’allégeance», qui se déchirent pour savoir qui héritera du trône. Si le cheikh Saleh al-Luhaidan, à l’origine de la fatwa autorisant à tuer les propriétaires de chaînes de télévision, a été limogé par le roi, c’est parce qu’il bloquait ses réformes mais aussi pour faire place à un ouléma plus proche du trône qui pérennisera le système de domination collégiale de la famille royale. Quant au droit des femmes, il faudra encore attendre une quinzaine d’années, selon le chercheur Nabil Mouline, pour espérer une réelle évolution…