Reportage

Méthode douce contre les talibans

Faute de pouvoir les réduire par la force, Etats-Unis et Pakistan tentent d’acheter les talibans ou au moins certains de leurs fidèles. Dans la région de Wardak, à 50 kilomètres de Kaboul, les Américains essaient de lever des milices villageoises afin d’aider une armée et une police afghanes complètement dépassées. La méthode, qui a fait ses preuves en Irak, pourrait être étendue à tout le pays. Mais l’expérience est loin d’être concluante: si les Tadjiks et les Hazaras, deux ethnies opposées aux talibans, ont répondu à l’appel, les Pachtounes ont décliné l’offre par peur des représailles. Les tali bans ont déjà décimé des villages qui semblaient prêts à collaborer.

De l’autre côté de la frontière, les autorités pakistanaises cherchent elles aussi à se concilier une partie des talibans qui continuent d’étendre leur influence au sud de la ligne Durand. Dans la vallée de Swat, Islamabad vient de permettre l’application d’une charia particulièrement rigoriste en échange d’un très hypothétique cessez-le-feu. Dans ce lieu de villégiature autrefois prisé par la bourgeoisie pakistanaise, les exécutions et les châtiments publics sont désormais autorisés. Quant aux femmes qui osent s’aventurer hors de leur domicile sans être escortées par un homme, elles encourent dorénavant le fouet. Un aveu de faiblesse de la part d’un gouvernement dont l’armée subit revers sur revers dans la région.

Le maulana Abdul Aziz

Les insurgés islamistes, qui n’ont respecté aucune des deux trêves précédentes conclues avec l’armée, gagnent partout du terrain. Ils font régner la terreur jusqu’au Pendjab, loin des zones tribales. A Lahore, capitale de cet Etat, le plus peuplé du Pakistan, on n’ose plus jouer au cricket, le sport national, depuis l’attentat perpétré contre l’équipe du Sri Lanka. A Multan, à l’ouest du Pendjab, les habitants tremblent quand ils vont chez le coiffeur ou au café internet. Mais c’est à Islamabad que la capitulation du gouvernement paraît la plus totale. Deux ans après avoir été prise d’assaut par l’armée, la Mosquée rouge, repaire de talibans et de membres d’Al-Qaida au coeur de la capitale, vient d’être reconstruite. Il y a quelques jours, son imam, le maulana Abdul Aziz, qui est sous le coup de vingt-six inculpations dont celles de meurtre et de kidnapping, est sorti de détention. Dans son prêche, l’homme, qui s’était enfui de sa mosquée en se déguisant en femme couverte d’une burqa, s’est réjoui de l’accord instaurant la charia dans la vallée de Swat: «L’islam ne restera pas confiné à Swat, il s’étendra au Pakistan puis au monde entier, a-t-il proclamé. Le sang des martyrs amènera la révolution islamique.»

SARA DANIEL