Reportage
Livre: Guerres d’aujourd’hui; pourquoi ces conflits? Peut-on les résoudre?
Avant propos du livre:
Depuis le 11 septembre 2001, mon métier de journaliste m?a conduite à « couvrir » les zones de conflits. Visiter les lignes de front, rendre compte des combats qui s?y déroulent, tenter
de comprendre les engrenages qui conduisent à ces « guerres d?aujourd?hui ». Au cours de ces voyages, en Afghanistan, en Irak, au Liban ou ailleurs, j?ai rencontré des personnalités remarquables qui contribuaient à faire l?Histoire. Ces personnalités au parcours souvent original, chercheurs, diplomates de l?ONU ou de l?Union européenne, membres des organisations humanitaires, avaient parfois mis en garde les gouvernements et les états majors contre les erreurs qui ont été commises, et souvent prévu leurs conséquences.
En Afghanistan et en Irak, par exemple, les analyses des spécialistes étaient trop souvent écartées par les dirigeants américains, qui les avaient pourtant sollicitées, dès lors qu?elles ne confortaient pas leur manière de conduire leur guerre contre le terrorisme. La succession de mauvaises décisions prises par la Coalition, dénoncées unanimement aujourd?hui ? et notamment dans ce livre par Ghassan Salamé pour l?Irak (p. 253), et par Lakhdar Brahimi pour l?Afghanistan (p. 78), ? et le spectacle de leurs conséquences sur le terrain, justifiaient pourtant le pessimisme des analyses. Mais il a fallu attendre le temps, trop long, de la prise de conscience, et dans ce processus, les comptes rendus de ces observateurs privilégiés ont
mis longtemps à influencer les décisions.
C?est de cette constatation qu?est née l?idée de ce livre. Un livre pour donner la parole aux experts. Pour que les meilleurs spécialistes nous fassent comprendre ces grands confl its qui font la « une » de nos journaux, qu?ils nous expliquent leurs origines, leurs acteurs, les erreurs commises par cette coalition de « bonnes volontés », organisation des Nations unies ou grandes puissances qui veulent imposer la démocratie par les armes, mais aussi pour qu?ils puissent nous proposer leurs pistes pour en finir avec ces conflits…
Afghanistan, Darfour, Colombie, Géorgie, Israël-Palestine, Irak, Iran, Liban, Tibet… ces neuf crises, les plus menaçantes, les plus médiatisées, sont décryptées, analysées par des « des universitaires de terrain ». Comme, entre autres, Barnett Rubin, chercheur à l?université de New York, conseiller de l?ONU et de Barack Obama, qui a écrit huit livres sur l?Afghanistan, parle couramment le dari et le pachtou ; comme Andrew Fisher, de l?Institute of social studies,
qui a passé huit ans au Tibet à étudier le bouddhisme ; ou comme Pierre-Jean Luizard, un des plus grands spécialistes du monde chiite du CNRS, qui n?a jamais cessé de se rendre en Irak, alors même que beaucoup de journalistes y ont renoncé… Tous ces chercheurs, qui ont une vision originale et engagée de leur domaine de compétence, ont accepté, après avoir analysé le pourquoi et le comment de ces guerres, de sortir de leur rôle et de tenter aussi de répondre à ces questions que l?on confie d?habitude à des politiciens : que faire ? comment en finir avec ces crises ?…
Leurs propositions sont discutables, elles seront, nous l?espérons, sources de débats.
Parfois, les façons dont on pourrait mettre fi n à ces conflits sont connues de tous, ce qui ne signifie évidemment pas pour autant qu?on parviendra un jour à les résoudre : « Créer un Etat palestinien aux côtés d?Israël : à l?un des plus vieux conflits du monde existe l?une des solutions les plus simplement consensuelles », écrit Robert Malley, qui a été le représentant spécial du président Bill Clinton pour les affaires israélo-arabes (1998-2001) (p. 350). Mais bien sûr, le confl it israélo-palestinien recouvre bien plus qu?un bras de fer sur l?occupation de territoires. Alors, « telle solution envisagée un jour peut ainsi être catégoriquement rejetée le lendemain,
selon l?état d?esprit des deux parties, l?état de leur rapport de forces, de leurs dynamiques internes, mais aussi de l?environnement international? », constate l?expert en résolution
de confl its, qui ose avancer des recommandations pour tenter de sortir de ce cercle vicieux.
D?autres fois, les propositions des chercheurs semblent paradoxales et aux antipodes de ce qui est mis en oeuvre par la communauté internationale, comme lorsque Barnett Rubin conseille
d?intégrer les talibans dans un processus politique, de réduire les campagnes d?éradication du pavot, sources de mécontentement des paysans, et de rassurer le Pakistan, sans lequel aucune stabilité n?est possible en Afghanistan, en soulevant par exemple la question de la parité nucléaire avec l?Inde, et cela à l?heure justement où les Etats-Unis ont choisi de conduire des raids dans les zones tribales sans en prévenir les autorités du pays.
Dans le monde « instable, imprévisible et contradictoire » décrit par le Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale, bien plus complexe sinon plus dangereux que celui de la guerre froide,
et en attendant la nouvelle gouvernance mondiale qu?appelle de ses voeux Hubert Védrine, nos chercheurs nous expliquent ces « guerres d?aujourd?hui » et lancent quelques pistes pour contribuer, comme nous y engage Pierre Hassner (p. 455), à tenter modestement d?éviter les malentendus, les escalades et les engrenages.
Sara Daniel