Reportage

Afghanistan: une guerre si loin de Paris

Le caporal-chef Thomas Rousselle est-il mort pour rien? Le 31e soldat français décédé en Afghanistan avait 30 ans et une petite fille de 3 ans. Son blindé a sauté sur une mine déclenchée par les insurgés afghans, alors qu’il ouvrait la route à un convoi entre Nijrab et Bagram. Or sa mort n’a suscité aucun débat en France, où ni le trucage des élections afghanes, ni les bombardements aveugles des civils, ni le retour des seigneurs de la guerre ou des talibans ne paraissent émouvoir l’opinion et la classe politique.

Certes, les pertes de soldats français en Afghanistan sont bien inférieures à celles enregistrées au cours d’autres guerres du passé. Pendant la guerre d’Algérie, près de dix soldats mouraient chaque jour. Mais au moment où le général McChrystal, chef des forces américaines et de l’Otan en Afghanistan, vient de remettre un rapport à Barack Obama qui pourrait l’inciter à réclamer un renfort de troupes à ses alliés, la question devrait se poser de nouveau. Ouvertement. Comme en Allemagne, où la majorité parlementaire est malmenée à la veille des élections générales. Ou en opposant les meilleurs experts et les plus grandes consciences, comme en Grande- Bretagne: l’Europe doit-elle continuer d’envoyer des soldats en Afghanistan? Quels sont les objectifs de cette guerre? Y a-t-il une chance de les atteindre? Quand s’achèvera la mission? Et combien coûte-t-elle? Autant d’interrogations qui s’expriment quotidiennement chez nos voisins mais qui semblent au contraire embarrasser les parlementaires français. Alors que la France et l’Allemagne, par exemple, comptent sensiblement le même nombre de soldats engagés et déplorent presque le même nombre de morts.

Il est vrai qu’outre-Rhin la polémique s’est intensifiée depuis un raid aérien de l’Otan déclenché sur l’ordre d’un officier allemand. Il aurait fait, le 4 septembre, près de 90 morts, dont de nombreux civils. Et l’engagement de la Bundeswehr en Afghanistan est très impopulaire: près des deux tiers des Allemands sont favorables à un départ des troupes.

A Londres, le débat est tout aussi enflammé. En juin dernier, dans un article intitulé «Obama doit arrêter cette folie avant que l’Afghanistan ne devienne son Vietnam», l’éditorialiste du «Guardian», Simon Jenkins, affirmait que les milliards dépensés par l’Amérique et la Grande-Bretagne n’avaient servi qu’à un massacre inutile, avec son corollaire: l’hystérie anti-occidentale.

Mais à Paris, après la mort du 31e soldat français, seule Martine Aubry a demandé «un vrai débat» sur la présence française dans un tel «bourbier». Tandis que le ministre de la Défense, Hervé Morin, se contentait d’assurer qu’un départ de la communauté internationale aboutirait à «un chaos absolu» et au «retour des talibans». «C’est lamentable, s’indigne le député vert Noël Mamère. L’Afghanistan est le premier narco-Etat du monde et McChrystal bombarde les civils. Mais l’opposition n’exige pas de débat et le Parlement se contente d’avaliser les décisions du président d’envoyer des troupes supplémentaires…»

Dans un rapport du 29 juin dernier, les députés Jean Glavany (PS) et Henri Plagnol (UMP) ont beau noter que «le terrain et les liens qui unissent les insurgés et la population rendent illusoire toute victoire strictement militaire en Afghanistan», même cette constatation n’a pas ranimé la discussion, y compris à la commission des Affaires étrangères.

«Il y a aussi cette idée, erronée, que notre engagement en Afghanistan est le prix à payer de notre réintégration dans le commandement intégré de l’Otan», analyse Etienne de Durand, directeur des études de sécurité à l’Ifri, l’un des rares experts européens consultés par le général McChrystal avant la rédaction de son rapport sur la situation en Afghanistan. Bien qu’il soit partisan du maintien des troupes françaises, Etienne de Durand souhaite lui aussi un examen du dossier afghan sur le fond. A condition qu’il ne soit pas instrumentalisé sur le plan hexagonal par les partis politiques, ce débat-là est urgent.

SARA DANIEL