Interview

«Ils veulent la charia»

Qui sont ces salafistes qui menacent le processus démocratique?

Hamadi Redissi (1) : Pendant la révolution, les démocrates ont libéré des prisons 1 090 islamistes qui ont été rejoints par une diaspora salafiste réfugiée jusqu’alors en Europe ou dans le Golfe. On peut les séparer en deux principales composantes: un courant dit « scientifique » ou « intellectuel », qui s’inspire du wahhabisme et qui est piloté par l’Arabie saoudite, laquelle n’a aucun intérêt à voir la Tunisie devenir démocratique. Et un courant djihadiste violent, qui s’est procuré des armes en Libye et dont certains membres partent se battre en Syrie.

Quel est leur projet?

Ils veulent l’application de la charia ici et maintenant, et non pas à l’avenir comme le souhaite le parti Ennahda au pouvoir. Ils ne comprennent pas la prudence de son chef, Rached Ghannouchi, dont ils se sentent pourtant proches. Ils veulent contraindre les Tunisiens à vivre comme au temps du Prophète. Pour eux, la Tunisie est une terre de prédication et non de djihad, ce qui changerait si le gouvernement se retournait contre eux.

N’est-ce pas ce qu’il a commencé à faire?

C’est vrai que le gouvernement a procédé à une centaine d’arrestations à la suite des violences de la semaine dernière. Mais le parti islamiste Ennahda n’a pas intérêt à se retourner contre ses frères. Ces derniers appartiennent à la même famille idéologique. D’ailleurs ils lui obéissent et renoncent à manifester dès qu’il l’exige. Ennahda est de plus en plus enclin à remettre en question le contrat démocratique auquel il avait fait mine de se plier. Les universitaires français qui évoquent le modèle turc les qualifient d’islamo-démocrates. Quelle blague! Aujourd’hui, les Tunisiens sont terrorisés par les anathèmes, par les milices du bien et du mal, par l’islamisation à marche forcée de la société qu’ils mettent en place. Nous avons cru à leurs mensonges. Nous nous sommes bien fait avoir!

SARA DANIEL

(1) Professeur à la Faculté de droit et de sciences politiques de Tunis, auteur de « la Tragédie de l’islam moderne » (2011, Seuil).